En médecine, il est largement admis que les implants et traitements médicaux nécessitent, avec le temps, des réévaluations et parfois des réinterventions. En chirurgie orthopédique, par exemple, les prothèses articulaires font l’objet de contrôles réguliers et sont remplacées si besoin. En revanche, en dentisterie, les interventions dentaires passées — qu’il s’agisse de restaurations directes, de couronnes vieillissantes ou de dents traitées endodontiquement — sont rarement réexaminées, à moins qu’elles ne présentent une défaillance manifeste. Cette négligence pourrait pourtant avoir des conséquences importantes, en contribuant à l’inflammation chronique, aux maladies systémiques et à une dégradation globale de la santé.
Les implants et prothèses médicaux ne sont pas conçus pour durer toute une vie. Par exemple, la durée de vie moyenne d’une prothèse de hanche est d’environ 15 à 20 ans ; les implants mammaires doivent généralement être remplacés au bout de 10 à 15 ans ; et la batterie d’un pacemaker dure entre 5 et 15 ans avant de nécessiter un remplacement. Même les greffes de cornée ont souvent une longévité limitée à 10 ou 15 ans avant que ne surviennent des signes de dégradation. Ces exemples illustrent un principe fondamental : le corps humain évolue avec le temps, et les matériaux que nous y implantons évoluent eux aussi.
Le domaine émergent de ce que j’appelle la « dentisterie de réévaluation » vise à combler cette lacune. Il s’agit de procéder à une réévaluation régulière des soins dentaires existants, afin d’identifier d’éventuelles sources cachées d’inflammation, de toxicité ou de charge bactérienne, non seulement liées aux dents et aux gencives, mais aussi aux traitements eux-mêmes — et susceptibles d’avoir un impact sur la santé générale. Cette approche proactive s’inscrit dans la continuité des progrès réalisés en médecine intégrative et préventive, où la détection précoce et l’intervention ciblée sont essentielles à l’optimisation du bien-être à long terme.
Le lien entre santé bucco-dentaire et inflammation systémique
Le lien entre santé bucco-dentaire et santé systémique est bien établi : les maladies parodontales ont notamment été associées aux maladies cardiovasculaires, au diabète et à certains cancers. Cependant, le débat néglige en grande partie le rôle que pourraient jouer les matériaux dentaires vieillissants et les traitements passés mal exécutés dans le développement d’une inflammation chronique, contribuant à des pathologies telles que les maladies auto-immunes, les troubles neurologiques ou les dysfonctionnements métaboliques. La séparation entre les médecins et les chirurgiens-dentistes, combinée à l’absence fréquente de douleur ou de signes visibles d’inflammation dans ces situations, ainsi qu’à l’idée répandue mais erronée selon laquelle un soin dentaire serait définitif, a créé une faille majeure dans notre système de soins — une faille qui expose les patients à des risques chroniques silencieux, mais bien réels. Certains traitements dentaires peuvent se détériorer avec le temps, libérant dans l’organisme des substances potentiellement nocives. Par ailleurs, des canaux radiculaires mal traités peuvent abriter des bactéries résiduelles, formant des foyers infectieux discrets mais persistants, qui exercent une pression silencieuse sur le système immunitaire — parfois pendant des décennies, sans être détectés.
Parmi les risques fréquemment ignorés, on peut citer :
- Hypersensibilité aux métaux : De nombreux patients réagissent sans le savoir aux alliages de titane, au mercure ou au nickel utilisés dans les soins dentaires, déclenchant des réponses inflammatoires systémiques.
- Galvanisme buccal : Lorsque des métaux de potentiels électrochimiques différents coexistent en bouche, la salive peut agir comme un électrolyte et générer des microcourants galvaniques entre eux. Ces microcourants peuvent perturber la fonction mitochondriale et potentiellement affecter la santé neurologique
- Implants et greffes osseuses contaminés : Des études ont révélé que de nombreux implants disponibles dans le commerce présentent des impuretés de surface, et que certains matériaux de greffe ne sont pas testés de manière rigoureuse sur le plan de l’immunogénicité.
- Infections silencieuses : L’imagerie CBCT et l’analyse microbiologique ont montré que de nombreux traitements endodontiques, bien que considérés comme réussis, hébergent des biofilms bactériens susceptibles de contribuer à des maladies systémiques. Il est important de préciser qu’un traitement canalaire réalisé selon les standards de référence — notamment avec l’utilisation d’instruments stérilisés — constitue une solution valide. Le problème réside dans l’exécution incomplète ou de mauvaise qualité, ou dans l’utilisation de matériaux inadaptés.
Pourquoi la dentisterie de réévaluation est essentielle
Les patients ont tendance à considérer leurs soins dentaires comme permanents, mais rien en dentisterie ne dure indéfiniment. Les matériaux se dégradent, les restaurations peuvent échouer, et les recherches en cours élargissent constamment nos connaissances sur la biocompatibilité, le contrôle des infections et la santé systémique, ce qui nous permet aujourd’hui de réaliser des traitements dépassant les techniques du passé.
La dentisterie de réévaluation propose :
- évaluation systématique des anciennes restaurations à la recherche de signes de corrosion, de fuites ou d’infiltration bactérienne ;
- utilisation de diagnostics avancés tels que l’imagerie CBCT, les tests de biomarqueurs salivaires et les dosages des marqueurs d’inflammation systémique, comme le CCL5/RANTES et la protéine C-réactive ;
- protocoles améliorés pour le remplacement des soins dentaires défaillants par des matériaux biocompatibles, limitant la toxicité et la réponse immunitaire ;
- renforcement de la collaboration entre dentistes, médecins et praticiens en médecine fonctionnelle afin d’intégrer la santé bucco-dentaire dans la prise en charge globale du patient.
Un appel à l’action pour le secteur dentaire
Le défi de la mise en œuvre de la dentisterie de réévaluation réside dans la sensibilisation, l’accessibilité et la formation. De nombreux patients — et même certains dentistes — ignorent les risques à long terme liés au vieillissement des matériaux dentaires. De plus, les assureurs considèrent souvent les procédures de réévaluation comme optionnelles ou esthétiques, ce qui fait peser la charge financière sur les patients. Pour changer cela, nous avons besoin de :
- une meilleure éducation des patients sur l’importance de la réévaluation régulière des soins dentaire ;
- des protocoles diagnostiques standardisés pour détecter les restaurations défaillantes, avant qu’elles n’entraînent des problèmes de santé systémique ;
- une mobilisation en faveur de la prise en charge par les assurances des révisions dentaires médicalement nécessaires ;
- un développement accru de la formation et de la recherche sur le lien entre les matériaux dentaires, l’inflammation et les maladies chroniques.
L’avenir de la dentisterie est intégratif et proactif
La dentisterie de réévaluation n’est pas seulement un nouveau concept ; c’est une évolution nécessaire dans notre approche des soins bucco-dentaires. En reconnaissant les implications systémiques des traitements dentaires vieillissants, nous pouvons faire passer la dentisterie d’un modèle réactif à un modèle proactif, visant à prévenir la maladie plutôt qu’à traiter uniquement ses symptômes.
Si vous êtes dentiste, pensez à intégrer dans vos bilans des tests de biocompatibilité, l’imagerie CBCT ainsi que le suivi des marqueurs de santé systémique. Vous pouvez également informer vos patients sur la longévité et la sécurité de leurs soins dentaires existants.
L’avenir de la dentisterie ne se limite pas à l’esthétique ou à la fonction ; il s’agit de la santé globale du corps. Le temps de la dentisterie de réévaluation est venu.
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